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La grande illusion (21.10.2000 - 21.10.2001) - Revue de presse

Le choc de la découverte
Démarche «unique en Suisse» selon le directeur communal des Affaires culturelles Eric Augsburger, «La grande illusion» a fait s'épanouir chez plusieurs conservateurs des libertés et des audaces qu'on ne leur connaissait pas toujours. Mieux: Jacques Hainard a apparemment transmis à ses confrères et consœur son goût pour une muséographie où les objets et les images se chargent de significations multiples et ajoutent à leur fonction documentaire des questions ou une réflexion sur le fonctionnement des sociétés contemporaines.
Si bien que la surprise de la découverte est, parfois, devenue un vrai choc: il fallait voir, hier, le conservateur du département des arts plastiques du MAH Walter Tschopp changer de couleur en découvrant, au Musée d'histoire naturelle, la vache Lotti et son appareil de respiration artificielle...
Jean-Michel Pauchard, L'Express, 21 octobre 2000

«Le thème de l'illusion était tentant, idéal pour repenser notre discipline. Mais nous avons abandonné cette idée pour nous demander plutôt ce que signifie exposer.»
Une exposition est-elle en soi une grande illusion? Au Musée d'ethnographie, la réponse de Jacques Hainard et de son équipe ne pouvait pas être banale. Elle ne l'est pas.
La démarche consiste à emmener le visiteur explorer, séquence après séquence, un poème d'Arthur Rimbaud, extrait des «Illuminations»: «Après le déluge». Mais si le scénario peut paraître contraignant, la lecture qu'en font les scénographes est libre. Surtout, terriblement actuelle. Car ils traduisent ici le concept de déluge par un soulèvement populaire. Un régime honni qu'on renverse dans la rue...
A partir de ce moment-là, tout s'enchaîne. Les images se succèdent, provocatrices. Dures aussi, parfois. Quand le poète dit «Le sang et le lait coulèrent», on voit bel et bien un liquide rouge et un autre blanc s'échapper de lavabos. Et pas besoin d'être un exégète de l'oeuvre rimbaldienne pour être pris, sinon avec la tête, du moins avec les tripes.
Ce que la suite de la visite confirme. La situation des travailleurs immigrés (des castors du Musée d'histoire naturelle, coiffés de casques de chantier, avec, en fond, une grande photo d'un Berlin en pleine transformation), le débat sur la communication, puis ce besoin irrépressible qu'a l'homme de vouloir occuper la planète entière. Et toujours cette mise en scène, déroutante mais si fidèle au poème, qui offre au regard ébahi un piano juché sur un massif alpin ou encore des chacals (naturalisés, tout droit sortis d'un musée d'histoire naturelle ...) «piaulant» (c'est le verbe du poème) dans des déserts de thym.
Mais qui sont ces chacals? Des écrivains, des journalistes assénant leurs théories et semblant se repaître des malheurs du monde. Le renouveau du déluge n'était-il qu'illusion? On pourrait le croire ou le craindre. Jusqu'à ce que le poète éclate de colère. Les auteurs de l'exposition choisissent l'audiovisuel pour rendre cet éclat, avant d'entraîner leur visiteur vers une conclusion plus énigmatique. Via un sombre labyrinthe. Et si la grande illusion, c'était la somme de toutes les illusions qui nous habitent? Fidèle à sa réputation, le Musée d'ethnographie laisse la question en suspens.
Stéphane Devaux, L'Impartial, 21 octobre 2000

«La grande illusion», vraie réussite
L'expérience est peu banale, tant pour le conservateur de musée que pour le visiteur.
A Neuchâtel, trois établissements culturels spécialisés dans des domaines aussi divers que l'art, l'histoire, l'ethnographie ou l'histoire naturelle décident un jour de travailler sur un projet commun, mais chacun de son côté, sans rien dévoiler aux autres avant le jour J.
Le thème choisi, «La grande Illusion», laisse déjà présager du meilleur. Il s'avère.
Même si les goûts, les couleurs, la sensibilité poussent la préférence de chacun vers l'une ou l'autre scénographie, même si chaque musée a sa philosophie propre, son public particulier, ce défi a le mérite de les avoir tous trois poussés plus loin que d'habitude dans leur réflexion et leur mise en scène.
Très loin même, jusqu'à se retrouver en face de Médor ou de son semblable plus vif que mort. Très loin aussi, dans un musée d'ethnographie qu'on sait pourtant ne jamais faire dans la dentelle, jusqu'à inciter Arthur Rimbaud à se retourner dans sa tombe.
Le fruit, somme toute, d'une saine mise en concurrence exacerbée par l'approche d'une exposition nationale.
Et, reste-t-elle encore illusion pour une partie d'entre nous, l'Expo.02 peut déjà être remerciée de l'avoir suscitée.
Isabelle Kottelat, Le Matin, 21 octobre 2000

La conception d'un Musée d'ethnographie dont la vocation se limiterait à la gestion et la mise en valeur des collections d'objets exotiques que l'on trouve dans ses réserves, a fait long feu. Elle a été battue en brèche par la volonté de lui adjoindre une réflexion sur les sociétés contemporaines. Vingt ans de muséographie pratiquée sur la colline de Saint-Nicolas ont ouvert les esprits et poussé plus loin le raisonnement.
C'est dans cet esprit que l'équipe du Musée propose une interprétation scénographique d'un poème d'Arthur Rimbaud, faisant d'un découpage entre les diverses composantes qui appartiennent à sa démarche – textes, images et objets – le centre de sa réflexion du moment. Et la grande illusion ethnographique qu'elle met en scène se trouve ainsi portée autant par le contenu textuel du poème «Après le Déluge» que par l'interprétation qu'elle en fait, des dérives qu'elle s'autorise et de l'agencement des matériaux qu'elle choisit pour parvenir à ses fins.
Jean-Michel von Mühlenen, Journal du Jura, 21 octobre 2000

Elles ont pris des risques, les trois équipes qui animent les musées neuchâtelois, en travaillant sur le même thème pour une exposition triple mais chacun dans le plus grand secret. Mais, de leur propre aveu, l'aventure fut excitante et même amusante. Le résultat est à la hauteur de leur ambition: une rencontre stimulante entre science et imagination, connaissances et réflexion. Mises ensemble, ces trois expositions sont quasiment une encyclopédie de l'illusion. Mais, sujet oblige, la visite est dérisoire, poétique, ludique et déstabilisante.
[...]
Le Musée d'ethnographie (MEN) s'est donné une contrainte très serrée pour illustrer la question: exposer, est-ce créer une illusion? Le labyrinthe que parcourt le visiteur est une lecture d'un poème de Rimbaud, Après le déluge. Le déluge selon Rimbaud, c'est la bouffée d'enthousiasme d'un peuple qui descend dans la rue et dit: faut que ça changel Et après le déluge, c'est le retour à l'ordre. L'actualité colle aux basques de la vision rimbaldienne et la curieuse grille de lecture du MEN, bien que proche de la lettre, ne manque pas d'esprit.
Eliane Waeber Imstepf, La Liberté, 21 octobre 2000

Avec un thème pareil, on pouvait craindre que le Musée d'ethnographie (MEN) ne se complaise dans une brillante mais énième version de son discours favori: la signification des phénomènes culturels et naturels résultant toujours d'une construction sociale, aucune réalité ne peut avoir la prétention de ne pas être illusoire, saucisses aux choux et madones en plâtre à l'appui. Il y a bien sûr beaucoup de cela dans l'exposition, mais le conservateur Jacques Hainard semble avoir senti le danger, puisqu'il a convaincu ses collaborateurs de travailler avec une contrainte qui renouvelle la démarche du musée. L'exposition consiste en une illustration, au moyen de l'iconographe contemporaine, du poème «Après le déluge» de Rimbaud. Du coup, la démonstration se fêle et fuit de toutes parts, se leste de la polysémie de l'indicible.
Silvia Ricci Lempen, Le Temps, 21 octobre 2000

Das Musée d'Art et d'Histoire am Neuenburger Hafen setzt das Thema Illusionen mit einer Reihe von Installationen sowie einer Auswahl von älteren und neuen Werken aus den museumseigenen Beständen um, während das kleine ethnographische Museum an der Rue Saint-Nicolas Arthur Rimbauds «Après le Déluge» («Nach der Sintflut») auf ungemein lustige und auch hintersinnige Weise in Szene gesetzt hat Die Besucher können buchstäblich durch Rimbauds surrealen Text spazieren.
Vorbei an einem durch ein Spinnennetz zum Regenbogen betenden Hasen und an sich unter offenaugigen Blumen duckenden Edelsteinen gelangt man zu der Baustelle, wo, die Biber bauen – türkische Biber auf dem Baugerüst eines Berliner Hochhauses, die nach der Arbeit im «Kahve Biberbau» auf einen Schwatz zusammenkommen.
Weiter geht es vorbeï an einem ins ewige Eis gestellten Klavier und allerlei Heiligenfiguren von der Mutter Gottes über die Computerspielheldin Lara Croft bis zu einem Hollywood-Oscar, ehe man durch das Labyrinth der schönen Hexe wieder in die Eingangshalle des Museums kommt und die witzige Literaturreise am besten gleich noch einmal unter die Füsse nimmt.
Alois Feusi, Neue Zürcher Zeitung, 21 octobre 2000

Beginnt die grosse Illusion beim Geld, wie das Museum für Kunst und Geschichte unter anderem andeutet? Oder ist sie auf der Strasse greifbar – wie letztmals in Belgrad, wo von Menschenmassen Freiheit und Gerechtigkeit gefordert werden, wie das Musée d'ethnographie moniert? Oder versteckt sie sich hinter dem Wunsch nach Unsterblichkeit, wie viele Religionen versprechen und das naturhistorische Museum vieldeutig zu demonstrieren versucht?
jmi, Der Bund, 23 octobre 2000

Il fallait penser à Rimbaud et à son superbe poème, Après le Déluge. Ce texte, tiré des «Illuminations» (1886), décrit l'aventure humaine et son perpétuel recommencement. L'équipe du Musée a choisi de l'illustrer au premier degré. Mais entre les mots et les compositions successives d'objets, il y a toute la place voulue pour que le visiteur mesure la dérive de cette aventure. La beauté du texte se heurte au réalisme violent de la mise en scène, à la crudité de l'imagerie d'aujourd'hui. Tant d'espoir, pour arriver si vite à tant de désolation. La leçon n'aura servi à rien? «Eaux et tristesses, montez et relevez les Déluges.»
Geneviève Praplan, L'Echo, 30 novembre 2000

Traduire un poème de Rimbaud par des objets de la manière la plus lisible possible demande un certain courage. Une fois le projet adopté, Jacques Hainard et Marc-Olivier Gonseth ont passé à la conception. Ainsi «Aussitôt que l'idée du Déluge se fut rassise» devient un téléviseur posé sur une chaise et dont l'écran est envahi d'ondées. Tout de suite après: «Un lièvre s'arrêta dans les sainfoins...». C'est une féerie à la Walt Disney sous l'arc-en-ciel. Des pierres précieuses grosses comme des oeufs apparaissent dans l'herbe.
Le parcours démarre et l'on commence vraiment à s'amuser. «Dans la grande rue sale, les étals se dressèrent...», c'est l'opulence de la consommation, avec les déchets qu'elle génère. Les détritus d'après la fête jonchent le sol. «Le sang coula chez Barbe-Bleue...» La violence s'expose, l'horreur fait recette. L'interprétation est vaste ici. Dans le défilé d'images brouillées on aperçoit un flash sur le procès de Nuremberg, illusion d'avoir conjuré l'horreur.
La construction du poème de Rimbaud se prête bien finalement au circuit transposé parcouru par les visiteurs. Il propose des élans et des moments d'arrêt où tout semble s'équilibrer. Après le cauchemar du sang, «Les castors bâtirent. Les mazagrans fumèrent dans les estaminets». Puis viennent le repli et la passivité. Nouvel élan, vers la conquête des espaces nouveaux et des audaces absurdes «Madame *** établit un piano dans les Alpes»... et «Les caravanes partirent ...» La visite continue par un passage délirant et tonitruant dans l'antre des chacals hurlants donneurs de leçons de tous bords, et puis l'arrivée dans le salon des nantis, où «Eucharis me dit que c'était le printemps». Confort pour certains, résignation pour les autres. Les espoirs du début (les pierres précieuses) réapparaissent, inaccessibles. L'lllusion se dévoile. La fin du parcours se vit en nocturne à travers une très belle série de portiques, dans le rougeoiement de la braise.
Laurence Carducci, Accrochages (Lausanne), décembre 2000

Que faire d’un poème dans un musée ? Comment en faire une exposition ?
L’équipe du MEN s’est décidée pour la solution la plus littérale: suivre le texte mot à mot. Lit-on «Un lièvre s’arrêta dans les sainfoins» ? Un lièvre empaillé est là, dans une fausse pelouse. «Madame*** établit un piano dans les Alpes»: un vrai piano est encastré en hauteur, dans de fausses Alpes de carton ou de polystyrène neigeux. Ce pourrait être d’un ridicule achevé, pire que la pire adaptation pour scolaires. C’est délicieux, drôle, d’une rare méchanceté, d’une efficacité politique et morale remarquable. Grâce à Rimbaud, évidemment, et à l’abondance des idées et des images qui se lèvent à la lecture du poème. Et grâce à ses transcripteurs, à leurs interprétations et transpositions.
Le long d’un parcours en zigzag, suivant l’ordre des phrases, ils ont composé des mises en scène qui répondent aux mots du poète avec des mots actuels. Il leur a fallu pour cela construire des étals de marché, un évier, une salle de jeux vidéo, un coin de forêt, un salon bourgeois. Il leur a fallu des animaux empaillés, des films, des voitures miniatures, des fruits, des légumes et des fleurs artificielles, plusieurs barques, des télés. La plupart de ces installations sont allégoriques. Elles donnent à voir la société marchande, la religion de la technologie, les crimes contre l’humanité, l’ennui des sociétés trop prospères, les fausses libérations, les vrais désastres.
[…] Pourquoi «La grande illusion» provoque-t-elle une telle surprise de la part d’un visiteur français ? Parce qu’il a quelque peine à imaginer un musée français qui traite de l’actualité politique et sociale avec tant d’acuité critique et d’irrévérence, se moque des autorités et de toutes les modes. Citation du «texpo» qui accompagne l’exposition au Musée d’ethnographie (MEN): «Bien sûr il y a Internet, les stock-options, la chirurgie plastique, l’Etat voyou.» Les musées français ne nous ont pas habitués à un tel langage, infiniment plus proche de L’Internationale situationniste que de La Revue du Louvre.
Philippe Dagen, Le Monde, Paris, 9 février 2001

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