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La marque jeune (28.06.2008 - 17.05.2009)

L'âge d'or

Historiquement, la jeunesse est une invention des sociétés occidentales du XXe siècle. Auparavant, ici et ailleurs, cette tranche d’âge ne constituait ni un groupe social, ni une étape reconnue entre l’enfance et l’âge adulte. Chargés de transmettre un savoir, de réguler la violence et de canaliser la sexualité, les rites de passage auraient permis aux individus de passer d’une catégorie à l’autre sans recourir à des valeurs alternatives hostiles aux normes parentales. Société de jeunesse, fanfare, école de recrues auraient joué dans ce modèle un rôle proche de celui des groupes d’initiation dans les sociétés traditionnelles africaines, océaniennes ou amérindiennes. Cette vision aboutit à diagnostiquer l’anomie des sociétés urbaines, où les rites structurants semblent avoir disparu, et à regretter un âge d’or où ceux-ci rythmaient l’existence du berceau à la tombe, soudant la cohésion du groupe et attribuant une place clairement définie à chacun. 

 

Péril en la demeure

Malgré l’épaisseur des portes et le confort domestique, la peur rôde dans la campagne helvétique. Pas tellement dans les rues habituellement calmes des villages endormis mais de manière insistante et répétitive sur les pages des journaux et sur les écrans de télévision qui transmettent récits et images d’un ailleurs problématique. De ces lieux généralement urbains proviennent des récits de rixes, de violences gratuites, d’échecs professionnels, de trafics illégaux, de relâchement des mœurs et de dissolution des valeurs collectives. Ces tristes exploits sont généralement l’œuvre de personnes jeunes, encouragées dans leurs excès par une émulation de bande et par une absence complète de repères, au point qu’elles apparaissent non seulement incontrôlables mais également irrécupérables.

 

Comme un disque rayé

La violence et la quête des limites sont-elles les spécificités contemporaines d’une classe d’âge en mal de repères ? Remonter jusqu’aux années 1950 permet de redessiner le tableau. Cette période a vu la jeunesse s’imposer comme groupe social expérimentant des esthétiques, des comportements et des formes de consommation originales qui se sont ensuite diffusées à l’ensemble de la population. Depuis lors, malgré certaines différences de ton, les mêmes reproches sont invariablement formulés à l’égard des avant-gardes juvéniles. Les propositions nouvelles ont toutefois permis un questionnement et une modification profonde des normes sociales, politiques et techniques tout en inventant de nouveaux rites de passage et d’interaction. Depuis 50 ans un dialogue de sourds semble donc s’être instauré entre adultes focalisés sur leur propre expérience de vie et jeunes testant au présent les alternatives sociales et culturelles passibles de se muer en normes pour les générations suivantes.

Le salaire de la peur

Fonds de commerce de la presse quotidienne et argument massue des politiques sécuritaires, la «violence des jeunes» est étalée et décryptée à longueur d’années par des commentateurs pratiquant volontiers le stéréotype et l’amalgame. Les angles et les contextes choisis sont presque toujours les mêmes, les arguments se ressemblent et les accusations s’enchaînent, brossant le tableau d’une société innocente et désarmée face à la détermination de ceux qui devraient la régénérer: noceurs invétérés, barbouilleurs de façades, racketteurs de préau, adeptes de jeux vidéo violents, flemmards invétérés, suicidaires désenchantés, allumeurs de brasiers, écumeurs de stades, rares sont ceux que l’on écoute au-delà de ces accusations lapidaires et d’autant plus insistantes qu’ils ne sont pas nés ici. Des voix se font entendre, cependant, qui proposent de décoder la mise en scène, de dépasser les jugements à l’emporte-pièce et de tendre l’oreille à d’autres interprétations.

 

Révolte purifiée

Contrairement à l’idée reçue qu’elle génère le chaos et menace l’avenir de la société, la révolte des plus jeunes contribue manifestement à dynamiser le système social dans son ensemble. D’un côté, c’est bien la rébellion, et non le conformisme, qui depuis des décennies est le moteur du marché. De l’autre, les figures de la révolte et les rites de refus ont fortement contribué à orienter la société vers d’autres valeurs et à imposer de nouvelles habitudes que personne ne remarque plus à force d’avoir le nez collé dessus. Si le marché récupère la rébellion en la transformant en produit, il participe également à la purifier en proposant comme acceptables, voire recommandables et mêmes exemplaires, des comportements, des postures et des personnes naguère voués aux gémonies.

 

La jeunesse n’est qu’un mot

Assimilée à une ethnie, affublée des stigmates les plus divers et transformée en bouc émissaire, la jeunesse n’est pourtant qu’un stade que chacun traverse pour devenir adulte et qu’un mot que chacun prononce pour parler de lui-même et des autres. Comme l’exprime la tête de reliquaire fang, gardienne des crânes des ancêtres que l’initié doit contempler au terme du rite qui fait de lui un adulte complet, l’essence du lien social dépend de la mise en relation des pairs avec ceux qui les précèdent et ceux qui les suivent. Les exubérants cadavres réalisés par la famille Linarès à la suite du tremblement de terre de 1985 à Mexico  rappellent également que la ritualité n’est pas un domaine figé. Bien loin d’une machine à nourrir le folklore et la nostalgie, elle aide à résoudre les contradictions du présent et à inscrire la nouveauté, le chaos, le désastre ou l’exception dans un cadre pensable. Réaffirmer cette vision prospective du rite constitue sans doute l’étape indispensable permettant de renouer un dialogue constructif entre générations sous toutes les latitudes.

 

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