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Retour d'Angola (06.12.2007 - 31.12.2012)

La formation du regard

Le premier espace évoque les multiples facettes de Théodore Delachaux, conservateur du MEN de 1921 à 1945 et exprime ainsi une certaine qualité du regard qu’il portera ensuite sur les gens et les choses d’Angola. 

Toile de fond de l’exercice, son intérêt pour les sciences naturelles, évoqué en clair par le papier peint et le dessin du ver Polychète d’eau douce (Troglochaetus beranecki) qu’il découvre et dessine en 1919, et plus implicitement du fait de l’omniprésence des sciences de la nature dans l’exposition. Théodore Delachaux a dix ans lors de l’édition de ses premières planches d’étude sur le plancton et termine sa carrière à la direction du Musée d’histoire naturelle. Entre ces deux moments, il développe une vision de l’art et de l’ethnographie indissociable du paradigme naturaliste, dont il fait le centre de sa démarche de recherche. 
Aux quatre coins de l’espace figure l’évocation du folkloriste intuitif qui constitue dès son plus jeune âge une collection de jouets et d’objets d’artisanat paysan, affirmant une profonde sensibilité aux questions et aux méthodes ethnographiques. Apparaît également le scientifique méthodique qui s’attaque au premier catalogage systématique des collections du Musée et s’investit dans la recherche et l’enseignement en archéologie. 

Au-delà du naturaliste et de l’ethnographe, l’espace évoque également l’artiste polyvalent qui suit l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, enseigne le dessin, pratique la peinture, co-fonde une école d’art privée, ouvre une galerie et réalise des vitraux de la collégiale de Neuchâtel. 

La fièvre du départ

Le deuxième espace aborde les préparatifs de l’expédition et les motivations de l’ethnographe avant de partir sur le «terrain» qu’Albert Monard (1886-1952), conservateur du Musée d’histoire naturelle de La Chaux-de-Fonds et Charles Emile Thiébaud (1910-1995), géologue, arpentent déjà depuis plusieurs mois. La scénographie est essentiellement construite à partir des notes manuscrites de Théodore Delachaux: listes d’objets à emporter, références bibliographiques, causerie préparatoire et énumération d’activités à ne pas oublier tentent d’exprimer la tension qui précède tout saut dans l’inconnu. A travers les couches de notes, les motivations de l’ethnographe sont brièvement développées: combler certaines lacunes dans les collections, pratiquer une ethnographie de sauvetage, investir un territoire peu connu, transmettre un patrimoine aux générations futures sont les principaux vecteurs d’une réflexion sans doute un peu datée mais qui reste néanmoins constitutive d’un savoir et d’un héritage à repenser. En arrière-plan apparaissent également quelques images de la 1e MSSA (1928-1929) qui, si elle fut avant tout une partie de chasse, offrit néanmoins une matrice à partir de laquelle fut pensée la suivante.

Sur le terrain

Dans leurs bagages, les membres de la 2MSSA emportent également deux appareils photographiques. Près de 2500 clichés réalisés par Charles Emile Thiébaud et Théodore Delachaux viennent ainsi compléter la récolte d’objets, documenter le voyage et témoigner de la vision portée par les deux chercheurs sur les populations rencontrées. Qu’il s’agisse de scènes de chasse, de scarifications, de parures ou de nudité féminine, leur point de vue s’inscrit dans la production iconographique de l’époque et illustre aujourd’hui, parallèlement à un monde révolu, certains travers ou limites de leur démarche. La troisième salle de l’exposition mobilise ce riche patrimoine photographique afin d’évoquer le «terrain», soulignant à la fois le choc de la rencontre, le poids de la collecte, la polysémie du cadre ethnographique et les ambiguïtés propres à ce type de recherches. Les comptesrendus de voyage proposés en légende dévoilent le contexte intellectuel d’appréhension de l’autre et rappellent que la présence coloniale du Portugal influence et facilite la mission neuchâteloise. Au premier regard, une vingtaine de photos soulignent la qualité picturale et analytique du travail effectué par Théodore Delachaux et désignent à travers leur mise en scène soignée la tendance actuelle à la thésaurisation de tels documents. Un artifice scénographique vient brouiller cette lecture et révèle que les images présentées font partie d’un ensemble plus vaste où la répétition de certains clichés laisse entrevoir l’obsession classificatoire et typologique caractéristique du paradigme naturaliste.

Le grand déballage


Le dernier espace présente le retour d’Angola proprement dit, à savoir le processus qui, du déballage à l’étude, à la restauration et à la mise en valeur des objets, aboutit finalement à interroger le sens profond de l’expédition. La 2e MSSA s’inscrit dans le cadre des missions de collecte qui parcourent différentes parties de l’Afrique au cours des années trente. La récolte d’objets répertoriés sur le terrain représente alors le fondement de la démarche ethnographique. Les pièces retenues sont destinées à augmenter le fonds documentaire des musées, focalisés à cette époque sur l’étude de séries et de typologies d’objets. Présentés dans des vitrines ou mis en caisse, puis stockés dans les réserves, ces quelques 3500 numéros d’inventaire forment aujourd’hui un fonds majeur des collections du MEN. A la suite de Théodore Delachaux, de nouvelles possibilités d’exploitation scientifique se dessinent et des solutions sont déployées pour faire face aux problèmes de conservation et d’inventaire. Ici comme ailleurs, le processus muséal ne s’arrête pas à la congélation des objets ramenés mais développe un nouveau type de relation à un patrimoine dont la propriété et la responsabilité sont constamment à repenser et à redéfinir.

Il n'est pas à moi


La visite se termine par un questionnement sur la nature des collections ramenées par Théodore Delachaux et conduit à une réflexion plus générale sur le patrimoine ethnographique, dont Retour d’Angola devrait être non pas l’aboutissement mais l’élément déclencheur. Comblent?elles ces lacunes qui obsédaient tant Théodore Delachaux et ses prédécesseurs ? Quels liens conservent-elles avec les populations qui les ont cédées ? Auraient-elles perdu en entrant au Musée la dimension immatérielle qui en faisait sur leur terrain de véritables objets de connaissance ? S’agit-il, comme on l’entend dire parfois, du «patrimoine des autres» ou l’expression n’est-elle qu’un moyen facile de référer à d’anciens propriétaires depuis longtemps disparus ? Leur valeur marchande continuera-t-elle de grimper au gré de la raréfaction des collections du même type ? Et que faire de cette réponse, donnée à plusieurs reprises à Théodore Delachaux alors qu’il cherchait à obtenir un objet précieux: «Je ne puis le vendre, il n’est pas à moi» ? N’est-ce pas au fond l’essence de tout patrimoine que de n’être la propriété de personne tout en étant celle de chacun ? Et le fondement du contrat patrimonial ne consisterait-il pas à rester disponible et ouvert face aux nouvelles situations de dialogue entre les cultures concernées ?

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