Avec Cargo Cults Unlimited, le MEN aborde le thème foisonnant de l’économie mondialisée. Hautement matériel, au point de menacer d’épuisement les ressources de la terre, ce champ d’activités humaines est également fait d’abstractions éthérées, de discours prophétiques, de comportements mimétiques et de protocoles bureaucratiques. L’exposition invite à lire cette complexité en s’inspirant de l’imaginaire associé aux « cultes du cargo ».
La notion désigne un ensemble de rites millénaristes apparus en Mélanésie avec la colonisation au 19e siècle. Guidés par des leaders charismatiques, leurs adeptes imitent certains comportements occidentaux : arrangements de fleurs coupées, parades militaires, constructions de ports ou de pistes d’atterrissage en bambou visent apparemment à capter les richesses produites outremer et importées par bateau ou par avion. Comme l’ont montré les anthropologues, la popularité de ce terme témoigne avant tout d’un paternalisme ethnocentrique à l’égard de pratiques jugées naïves ou irrationnelles.
Inversant la perspective, l’équipe de conception se demande si la pensée magique attribuée autrefois à de lointains sauvages ne caractérise pas mieux les rapports contemporains à l’économie mondialisée. Certains échos des cargo cults ne résonnent-ils pas dans la fétichisation des marques et des signes extérieurs de richesse? Dans l’ignorance plus ou moins délibérée des lieux et des conditions dans lesquels sont produits vêtements, nourriture et appareils électroniques ? Dans les comportements imitatifs observés sur les marchés financiers ? Dans la foi envers une caste d’experts qui parlent au nom d’entités surnaturelles connues sous l’appellation de croissance ou de marché?
Pour explorer cette hypothèse, le public est invité à découvrir un port fait de containers et des bureaux en carton, à l’image des simulacres propres aux cultes du cargo. S’appuyant notamment sur les collections du MEN et les recherches menées à l’Institut d’ethnologie, l’exposition questionne les principes organisationnels d’un système à deux niveaux : au rez-de-chaussée, ceux d’une économie dite réelle basée sur la production et la circulation de biens matériels ; à l’étage, ceux des modèles, normes et discours qui régissent ce flux de marchandises. Le parcours développe ainsi une leçon fondamentale de l’anthropologie : l’économie n’existe pas en elle-même, mais à travers un épais maillage de représentations culturelles et de dispositifs sociotechniques.