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Le Salon de l'ethnographie (03.06.1989 - 07.01.1990) - Revue de presse

35.000 objets, que montrer et que dire ? En somme, comment faire croire à la valeur des gris-gris, colliers, masques, totems taillés au creux, des bois exotiques ?
Aujourd’hui donc, le Salon de l’Ethnographie ouvre ses portes pour huit mois. Une expo qui fait de l’objet ethnographique une aimable tapisserie, et qui s’attache aux raisons mêmes d’ethnographier. Ce n’est pas un problème de spécialiste: il en va de notre mode d’acquisition, des principes qui régissent la valorisation des objets en oeuvres d’art, et enfin des rouages qui mènent à la spéculation. 
Jacques Hainard apostrophe l’ethnologie: une science cachottière de ses découvertes,qu’elle distille, au compte-gouttes pour les besoins impérieux de son prestige. Là encore,le béotien pourra comprendre la portée de tous ces secrets entretenus. Laissons là le sujeten repos: à lundi donc, même page et même heure.
Catherine Roussy, L’Impartial, 3-4 juin 1989

Mais revenons de l’Afrique à Neuchâtel. Jacques Hainard a pris ici la succession prestigieuse du professeur Gabus. «Mon prédécesseur vivait la fin d’une époque où l’on pouvait faire découvrir les peuples du Sahara ou les Esquimaux. C’était avant que Kuoni ne fasse croire aux gens qu’ils comprenaient le monde en le parcourant en autocar. Quand je suis arrivé,c’était fini. Il m’a donc fallu réfléchir sur un trésor de quelque 35.000 pièces. J’ai choisi d’adopter une double casquette. D’un côté, je reste un conservateur hypertraditionnel qui travaille dans des conditions difficiles et qui donne des catalogues. De l’autre, j’aimerais devenir l’homme qui ne garde plus, parce qu’il regarde. Très immodestement, je crois être l’un des rares directeurs de musée à réfléchir sur ce qu’il fait.»
Cette introspection finit par donner chaque année une grande exposition. «Elle représente en fait plus de douze mois de préparation ! Une petite équipe stable est complétée au coup par coup par des gens que le sujet intéresse. Je me sens très libre. J’utilise notre fonds. J’emprunte aussi, avec de plus en plus de mal à des collègues qui multiplient les barrages, les oeuvres qui complètent. Pour moi, le décor est au moins aussi important que les objets. Ce ne sont plus eux les vedettes. Leur fonction devient avant tout significative. Ils doivent raconter une histoire. A chaque fois, nous essayons de faire passer un propos qui ait un début et une fin. Je suis contre les grandes rétrospectives actuelles, qui ne constituent souvent que des accumulations.»
Etienne Dumont, Tribune de Genève, 16 juin 1989

Le «Salon de l’ethnographie» est votre quatrième exposition sur la problématique du statut de l’objet de musée, en quoi se différencie-t-elle des autres ?
Cette exposition cherche à cerner ce qui fonde la valeur de l’objet, ce que représente le patrimoine ethnographique dans notre société et le rapport qu’il entretient avec le marché de l’argent. Les arts primitifs doivent-ils être consommés comme des Van Gogh ou des Picasso, c’est-à-dire uniquement en fonction de critères esthétiques ou stylistiques ? Que nous apprendraient-ils alors que nous ne saurions déjà et à qui profiterait ce détournement marchand ? Voilà les thèmes essentiels abordés dans l’exposition.
Vous avez qualifié votre démarche de «muséologie de la rupture»: qu’entendez-vous par là ? Il s’agit de créer les conditions propices à couper le cordon ombilical qui lie le visiteur à l’objet de musée, à oser désacraliser cette relation, à provoquer la prise de distance critique et réflexive.
N’y a-t-il pas une certaine contradiction entre cette volonté de bousculer le visiteur dans ses acquis et la très grande attention portée à la beauté de la mise en scène ?
Non, l’esthétisme est un balisage nécessaire pour la compréhension du discours. Dans la mesure où nos expositions racontent des histoires, nous sommes obligés de soigner le décor.
Valérie Ott, Journal de Genève, 24 juin 1989

«Exposer, c’est aussi s’exposer pour entretenir sa réputation» admet le conservateur du Musée d’ethnographie de Neuchâtel, qui ne réserve pas ses flèches qu’aux autres. S’exposer, c’est se mettre en valeur, mais aussi se mettre à nu et prêter le flanc à l’attaque: notre société ne laisse généralement pas courir impunément les démystificateurs dans ses impasses. Humour, esthétique et rigueur permettent à l’équipe de Hainard de se tirer avec honneur de ce jeu périlleux.
Un exemple ? Ils brocardent le marché, qui transforme en fric – en valeur, écrivent-ils – l’innocence des objets et des idées. Originaires d’Océanie, le boomerang et le surf sont devenus des biens de consommation. Les boucles d’oreilles massaïes sont copiées, et vendues dans les supermarchés. L’encens est détourné du temple pour parfumer les HLM.  
Mais après avoir illustré ces dérives, c’est de la leur propre vers le succès qu’ils parlent. Avec une photo grandeur nature de tous les collaborateurs du musée, hilares et fleuris de roses, faisant face à un obélisque consacré non pas au dieu soleil, mais au dieu argent. «Cette exposition s’intitule «Salon de l’ethnographie», comme on parle du Salon de l’automobile ou du Salon des arts ménagers», commente Jacques Hainard. Son propos n’est pas innocent: un vif débat oppose actuellement les ethnologues aux marchands d’art. «Ils voudraient faire de l’argent en faisant basculer l’ethnologie dans les beaux-arts, qu’ils connaissent bien, et qu’ils savent comment vendre, poursuit le conservateur. Ils proposent ainsi d’évacuer tout le savoir accumulé sur le terrain, autour d’une coiffe de Sioux ou d’un masque bayiri, pour n’en retenir que l’aspect esthétique et la puissance évocatrice.»
Pour mieux contester cette tentation, le «Salon de l’ethnographie» l’a parodiée. De nombreux objets sont exposés – il y en a 35 000 dans les caves du musée – sans référence ethnographique. Dans des simulacres de cadres, tout au long du parcours, ou dans la dernière salle, en vitrine. Là, les étiquettes ont été voilées de gaze noire, en signe de deuil.
Françoise Boulianne, Le Matin, Lausanne, 14 août 1989

La récupération de l’objet ethnographique par le commerce vous gêne ?
Je dis qu’il n’y a pas de raison de mettre l’ethnographie au Musée du Louvre – mais bien sûr si on veut l’y mettre, mettons-là, après tout il y a bien longtemps qu’on a muséographié l’art primitif à New York. Mais, simplement, j’attire l’attention sur le fait qu’on n’a pas le même rapport, le même type de production qu’une peinture ou une sculpture faites dans notre monde occidental. Bien sûr on m’apostrophe, quand on ne me traite pas de raciste: «Mais, cher Monsieur, vous êtes complètement rétrograde, vous ne voulez pas accepter que nos frères noirs, par exemple, soient considérés comme nos équivalents…».
Je réponds que le problème est ailleurs, que je soupçonne les responsables de vouloir détourner l’attention du vrai problème, c’est-à-dire que, si notre système idéologique est assez puissant pour faire pénétrer ces objets dans le champ des Beaux-Arts, un certain nombre de personnes vont faire de l’argent… et ce ne sera [pas] par pur humanisme que s’opèrent de telles transmutations ! On n’aime pas, en effet, voir ces problèmes soulevés: cela ne se dit pas. On n’aime pas trop parler d’argent à propos d’art.
Pierre Hugli, Voir, Lausanne, septembre 1989

Eh bien, non ! rien de tel à Neuchâtel depuis l’arrivée du conservateur de choc Jacques Hainard. Depuis neuf ans qu’il préside à la destinée de la vénérable institution, un vent de fronde souffle sur la colline Saint-Nicolas et secoue la faculté. Neuchâtel est devenue la capitale de la «muséologie de la rupture». Iconoclaste ! suffoquent une fois de plus les puristes qui supportent mal la réflexion fondamentale que le franc-tireur de l’ethno conduit sur l’institution, l’idée du beau, la valeur de l’objet et les conditionnements du regard. C’est qu’il n’y va pas par quatre chemins, à nouveau, pour nous mettre le nez sur nos mécanismes individuels et collectifs, et pour nous démontrer que l’on ne voit que ce que l’on sait. Pour un missionnaire, les arts primitifs restent d’abord l’expression du fétichisme à abolir; pour l’artiste, l’image de la beauté différente qui l’aide à briser les carcans des académismes; pour le savant, l’objet d’étude qui contribuera peut-être à le rendre célèbre; pour le commissaire-priseur, le symbole d’un marché en train d’exploser; pour le styliste, un modèle vestimentaire ou même sportif à imiter et à mettre à la mode.
Et pourquoi, lance Hainard avec son impertinence habituelle, ne mettrait-on pas en place des bureaux d’ethnologie-conseil pour enfin «dépasser le bibelotage et l’exploitation commerciale primaire» ? Le regard promoteur devrait être à même désormais d’exploiter méthodiquement, étude de marché à l’appui, le potentiel primitif et de «jeter un pont entre le monde des affaires et celui des diversités culturelles».
Françoise Jaunin, Coopération, Bâle, 12 octobre 1989

A la clé: une philosophie de l’objet, bien sûr, mais aussi, et peut-être surtout, la volonté de contraindre le visiteur à voir les gens et les choses avec un regard neuf. Pour y arriver: mettre en valeur des idées originales et présenter leur réalisation de telle sorte que soit directement interpellé qui vient en spectateur non averti.
J. H., Le sillon romand 52, 28 décembre 1989

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