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Patek Philippe: Calatrava

Identifier un objet apparemment banal et quotidien – une montre – peut rapidement constituer une tentative risquée, périlleuse et troublante; c’est donc une invite au trouble que nous avons tenté de formuler dans ce stand.

Irrésistiblement, et presque immédiatement, nous classons les objets pour percevoir la réalité. Et à travers nous – ou notre point de vue – notre «bagage» culturel, historique, social, langagier, cognitif agit. Qu’est-ce donc que la Calatrava, de Patek Philippe ? Un mot ou une chose ? Un objet familier ou étrange ? Beau ou laid ? Sacré ou profane ? Prestigieux ou vulgaire ? Objet de consommation ou de transmission ? Objet extraordinaire ou somme toute banal ? Objet de pouvoir ou stigmate ? Légitime ou illégitime ? Objet digne d’être exposé (au poignet ou au musée) ou objet à cacher ? Authentique ou faux ? Objet de goût ou objet kitsch ? Objet de série ou artisanal et unique ? Objet désiré ou détesté ? Autant de questions que nous laissons à l’appréciation de chacun…

Nous nous interrogeons donc sur notre regard – et sa relation à l’objet, en présentant la Calatrava dans cet «écrin» quelque peu étonnant, en apparence. Selon Pierre Bourdieu, notre «œil» n’est pas si naturel qu’on veut bien le croire, et jamais neutre; il semble au contraire construit par notre histoire et reproduit par notre éducation. Ainsi prise dans un réseau de signes, que nous raconte la Calatrava ? De quoi est-elle le signe, de qui et aux yeux de qui se distingue-t-elle ?

Objet précieux et cher (y compris dans un sens affectif – lorsqu’on la reçoit par héritage), elle (auto)désigne une «haute culture»: raffinée, élégante, belle et compliquée… Mais sa qualité suprême – son charme ? – réside sans doute dans sa «discrétion», exprimée dans la scénographie au premier degré. Discrète, car elle cache au plus profond de ses entrailles un trésor – son mouvement – comme un cœur mécanique. Discret encore, le minuscule «Poinçon de Genève», signe hautement distinctif et reconnaissance officielle de l’Excellence Horlogère, dont seuls quelques happy few pourront apprécier la valeur ostentatoire.

La Calatrava s’oppose ainsi aux objets de prestiges les plus visibles: le trophée, l’Oscar, le diplôme et autres attributs honorifiques, que tout un chacun reconnaît. A l’inverse, elle ressemble étrangement à d’autres objets de valeur qu’un petit nombre d’initiés reconnaîtront comme tels : l'oushebtis égyptienne, le bouddha tibétain, la tête réduite tsantsa – par exemple – sont des objets perçus comme précieux (d’un point de vue symbolique, pécuniaire, etc), voir inestimables, et dont la reconnaissance est déjà signe de distinction pour les heureux initiés. Les mêmes objets – pris pêle-mêle – apparaîtront à d’autres – les distraits, les non-experts – comme une duperie, comme «faux» ou mieux, kitsch, et d’une valeur toute relative.

Ainsi, l’effet de contexte (ici la machine de foire, contenant d’ordinaire des objets facilement reconnaissables, objets cheaps  et «vulgaires», facilement accessibles et peu désirables en dehors de l’instant présent du jeu) semble bien construire la valeur – telle qu’elle est perçue – des objets; on pourrait bien penser que le pouvoir dont tout objet est dépositaire «peut varier pour un même objet en fonction du contexte dans lequel il est momentanément inséré, perçu, construit*». Le contexte dans lequel s’expose ou s’exhibe l’objet n’est donc pas neutre: du Musée (lieu d’un culte raffiné) à la Foire ou au Salon de Jeu, du poignet délicatement parfumé du futur acheteur de notre Calatrava à celui du spectateur qui devra se contenter de l’apercevoir quelques instants – peut-être dans le miroir d’une image de soi dérobée – avant de passer son tour, oubliant vite qu’à ce prix, n’importe qui ne peut pas tenter sa chance…

[Marc Cull, Luc Weissenberg]

 

*Marc-Olivier Gonseth. 1984. «Le miroir, le masque et l'écran», in: Hainard Jacques et Roland Kaehr (eds), Objets prétextes, objets manipulés. Neuchâtel: MEN.

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