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La photo de Korda

Un fil plus ténu qu'il n'y paraît relie la photo d'Alberto Diaz Guttierrez, dit Alberto Korda, à son destin mythique.

Au printemps 1960, un navire français transportant des armes belges explose dans le port de La Havane. Un meeting de protestation est alors organisé, auquel participent notamment Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre.

Photographe au journal «Révolution», Korda se trouve en face de la tribune, avec en mains un Leica et une optique de 90 mm. Fidel Castro est en plein discours lorsque Che Guevara s'avance vers l'avant, contemple la foule et s'en retourne vers l'arrière. Frappé par l'expression de son visage, Korda prend deux photos, l'une horizontale, l'autre verticale. La scène ne dure que quelques secondes.

Le soir, dans son studio, le photographe retravaille l'image horizontale, plus facile à recadrer que l'autre. Envoyée aux journaux avec des photos de Fidel Castro, elle ne sera pas publiée.

Sept ans plus tard, un éditeur milanais proche des dirigeants cubains se rend en Bolivie pour y négocier la libération de Régis Debray. Apprenant par ce dernier que Che Guevara, leader de la guérilla dans ce pays, risque d'être assassiné, il passe alors par Cuba pour y négocier une bonne photographie du révolutionnaire. Pourvu d'une lettre d'introduction, il se rend chez Korda qui lui montre la prise de vue de 1960, toujours affichée contre la paroi de son atelier, et lui offre deux copies, sans contrepartie puisqu'il est un «ami de la Révolution».

A peine quatre mois se sont écoulés lorsque le Che est exécuté en Bolivie. L'éditeur diffuse aussitôt un poster en Italie et la photo explose dans le monde entier: il en aurait vendu entre un et deux millions en quelques mois, sous son propre copyright et sans mention de l'auteur.

Entre la prise de vue originale et sa version couramment reproduite, le photographe a passé d'un cadre large, maintenant l'impression de contre-plongée et aux limites duquel se profilent un palmier et un personnage en ombre chinoise, à un cadre serré qui diminue l'effet de contre-plongée et élimine tout contexte.

Cette image du Che fut souvent rapprochée de celle du Christ. Indépendamment de l'expression du visage, mélange de courage et de douleur selon Korda ou expression d'une désillusion selon Toscani, on peut se demander si ce n'est pas avant tout l'angle de prise de vue («sous la tribune» renvoyant à «sous la croix») qui oriente encore profondément la lecture des documents recadrés.

 

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