Sous les pavés le discours
Signalés par des panneaux de mise en garde, les chantiers urbains heurtent votre sens esthétique, déplacent vos repères, manifestent le pouvoir de vos autorités et font ressurgir triomphalement, là où passent les routes, les vestiges d'un passé désiré.
[L'archéologie] ne prétend pas s'effacer elle-même dans la modestie ambiguë d'une lecture qui laisserait revenir, en sa pureté, la lumière lointaine, précaire, presque effacée de l'origine. Elle n'est rien de plus et rien d'autre qu'une réécriture: c'est-à-dire dans la forme maintenue de l'extériorité, une transformation réglée de ce qui a été déjà écrit. Ce n'est pas le retour au secret même de l'origine; c'est la description systématique d'un discours-objet.
Michel FOUCAULT. 1969. L'archéologie du savoir
Liberté programmée
Vous empruntez d'innombrables couloirs, de gare, de métro ou de parkings souterrains, qui vous canalisent sans recours tout en vous faisant croire à l'affranchissement des contraintes de la surface.
Ce que nous aident à percevoir les couloirs de la correspondance, c'est précisément, certes impalpable et incertain, le moment où les citoyens ordinaires basculent d'un système à un autre, hors systèmes le temps d'un parcours, mais partagés entre leurs souvenirs tout chauds et leurs attentes toutes fraîches, préoccupés éventuellement par ce qu'ils viennent de quitter ou ce qu'ils vont trouver, prêts à changer de langage en changeant de lieu, prêts et parés, préparés à ce qui les attend [...].
Marc AUGÉ. 1986. Un ethnologue dans le métro.
Confortables émanations
Les fumées industrielles, les gaz d'échappement, les vapeurs grasses et lourdes, et autres émanations délétères vous transportent en un lieu où rêve et cauchemar mélangent leur respiration.
Nous chanterons les grandes foules agitées par le travail, le plaisir ou la révolte; les ressacs multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes; la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques; les gares gloutonnes avaleuses de serpents qui fument; les usines suspendues aux nuages par les ficelles de leurs fumées; les ponts aux bonds de gymnastes lancés sur la coutellerie diabolique des fleuves ensoleillés [...]
F.T. MARINETTI. 1909. Manifeste du futurisme
Crash pour un décollage
Chute dans l'espace et dans le temps. Lors de l'accident, le réel bascule, l'ordre est rompu. Crash. Trou noir. Des fragments de votre vécu traversent votre esprit.
Je me trouvais à la frontière du monde. Devant moi, le trou sans fond de l'incréé. Toute la création était derrière moi. L'univers était dans mon dos, me poussant vers l'abîme, de tout son poids. Quel vertige ! J'aurais voulu reculer. Trop peur de bouger. Un pas en avant, une chute, je serais happé, englouti, dissous par le rien. Je fermai les yeux, cela ne fit qu'accroître mon vertige et ma nausée. Le cosmos basculait.
Eugène IONESCO. 1973. Le solitaire