Extrait de Who's who de l'ethnologie suisse (1995)

a) A quel(s) courant(s) ethnologique(s) vous rattachez-vous et quelles sont vos affinités intellectuelles ?
Généraliste, je m'intéresse à l'ethnographie de l'ethnographie et aux conditions de production du discours ethnologique. C'est à travers la muséographie que j'essaie de faire passer quelques idées dans le public pour le stimuler, lui susciter quelques velléités d'interrogations personnelles, voire critiques. L'ethnologie et le musée étudient les rapports sociaux et le fonctionnement des sociétés humaines, en constituant un lieu où l'on devrait remettre en question le savoir. De ce point de vue, les travaux qui valorisent aujourd'hui les conditions de recueil des données, qui soulignent les présupposés idéologiques du chercheur sont ceux que je privilégie. Mes affinités intellectuelles touchent à la transversalité, et des auteurs comme Michel Leiris, Antonin Artaud, Clifford Geertz m'apportent beaucoup. Les démarches de certains artistes, comme Jean Zuber, Rémy Zaugg, Olivier Mosset et Pierre Raetz me stimulent à propos des objets. Les collectionneurs, par leur monomanie, nourrissent mes réflexions sur l'ethnographie, la société et l'art. Tout peut m'intéresser dans la mesure où il y a une réponse à mes interpellations du moment: Arthur Rimbaud, Gustave Flaubert, une émission de télévision stupide ou le fonctionnement d'un Mac Donald.

b) En dehors de l'observation participante, quels outils méthodologiques et théoriques utilisez-vous dans vos recherches? 
L' ironie, l'humour, la dérision et l'autodérision sont les seuls éléments susceptibles de créer une véritable distance par rapport à l'objet étudié ou présenté. Ce sont les seules balises qui restent aujourd'hui pertinentes pour la construction des sciences humaines. 

c) Quelle serait la principale critique que vous formuleriez à la discipline aujourd'hui ? 
Notre discipline reste beaucoup trop sur la défensive quant aux explications qu'elle pourrait donner sur le monde actuel; elle ne prend pas assez position. Lorsqu'elle entreprend des études dans le présent, l'ethnologie n'apporte que peu de perspectives qui pourraient avoir quelques conséquences sur le plan politico-économique, sur le monde de la banque ou sur le pouvoir au sein des entreprises ou des multinationales. Ce sont là des domaines auxquels on n'ose pas toucher. Alors on étudie la fête et les rites, ce qui ne porte pas trop à consequence quant au statut même de la discipline. L'ethnologie reste ainsi toujours assez distante vis-à-vis du public et elle oeuvre perpétuellement dans une sphère réservée aux mêmes personnes et bien souvent à la même thématique. Je ne défends pas l'ethnologie appliquée mais je milite pour une ethnologie critique et explicative du présent. Il faudrait que les ethnologues admettent une fois pour toutes que leur démarche ne peut être en aucun cas objective, la subjectivité du chercheur étant primordiale. Pourtant, c'est uniquement à travers l'honnêteté intellectuelle, qui consiste à donner les clés des conditions dans lesquelles se fait la recherche, qu'il est possible d'avancer. Il est donc essentiel que chacun fasse état de ses présupposés culturels, théoriques, voire religieux afin qu'on sache qui parle et d'où il parle. Je suis allergique à cette espèce d'ethnologie transculturelle qui parle à la place des autres. Il importe que l'appareil critique soit clair et qu'apparaissent les limites de la mise en forme, tant dans la pratique de l'écriture que dans l'utilisation des moyens audiovisuels. 

d) Quels seraient les 3 ou 4 livres que vous donneriez en référence aux questions a), b) et c) ? 
Rimbaud Arthur. 1892. Une saison en enfer . Paris: L. Vanier. Flaubert Gustave. 1993 . Madame Bovary . Paris: Librairie générale française.
Leiris Michel. 1934. L'Afrique fantôme . Paris: Gallimard.
Malinowski Bronislaw. 1967. A diary in the strict sens of the term. London : Routledge and Kegan 
Paul. Barley Nigel. 1992. Un anthropologue en déroute . Paris: Payot.
Toute relecture, avec un minimum de distance critique, d'un classique de l'ethnologie ou d'un philosophe quel qu' il soit, est à chaque fois un exercice profitable. La lecture d'auteurs qui se sont incontestablement fourvoyés peut être extrêmement éclairante car à chaque fois on est confronté à un savoir en construction. Dans le même ordre d'idée, la lecture ou la relecture de la Bible, du Coran ou de tout autre texte de cette envergure est à recommander. En un mot, ce qui manque le plus à l'ethnologie et à la muséographie, c'est la théorie. 


Ethnologica Helvetica (Berne) N°19.

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