ARNOLD VAN GENNEP (1873-1957)

Arnold Kurr-Van Gennep naît à Ludwisburg, dans le Würtemberg, le 23 avril 1873. Son père, descendant d'émigrés français est lieutenant à la Cour. Sa mère, dont il adoptera le nom, est issue d'une famille originaire de Hollande. Arnold Van Gennep a six ans lorsque ses parents se séparent. Sa mère et lui s'établissent alors à Lyon, ville où le jeune garçon fait ses classes enfantines.

Elève turbulent, il est envoyé comme interne au Collège Sainte-Barbe, à, Paris, en 1883. L'année suivante, sa mère se remarie avec un chirurgien de Lyon, le docteur Paul Raugé. Le couple s'établit à Nice, puis à Challes-les-Eaux. Ils transfèrent le jeune Van Gennep au lycée de Nice, où il se révèle brillant élève. Puis il entreprend sa «philo» au lycée de Chambéry. Recalé à cause des mathématiques, il passe au lycée de Grenoble.

Le savant se manifeste très tôt, puisque depuis quelques années déjà il occupe ses loisirs et ses vacances à la recherche de monnaies anciennes. Il se prend également de passion pour la préhistoire savoyarde, en particulier pour les civilisations lacustres. "Ces deux manies [...] eurent cet avantage, non seulement de m'enseigner à dresser par moi-même une bibliographie, à classer méticuleusement les faits d'après de petites caractéristiques, à dépouiller des documents originaux [...] mais aussi à entrer en contact avec toutes sortes de gens des villes, des bourgs et des campagnes".

Un enracinement géographique profond et un goût très vif de l'objet et du concret sont à l'origine même de sa carrière. Un don prodigieux pour l'acquisition des langues accroît encore ses aptitudes à l'ethnologie.

Son lycée terminé, Van Gennep s'inscrit à l'Ecole des langues orientales pour étudier l'arabe et à l'Ecole pratique des Hautes Etudes, section des sciences historiques et philologiques, pour la linguistique générale, l'égyptologie. En outre, il suit des cours à la section des sciences religieuses.

Parallèlement (1894 à 1897), il publie ses premiers articles, consacrés à la numismatique. Mais très vite, les faits sociaux vont prendre la première place dans ses préoccupations scientifiques. Un sujet de recherche et de réflexion va lui servir de transition entre la numismatique et l'ethnographie: les marques de propriété.

Durant quelques années, il recueille un grand nombre de données en la matière, après avoir établi un "Questionnaire" publié dans la Revue des Traditions populaires. L'étude des marques de propriété revêt à ses yeux un intérêt considérable et elle le conduit à proposer une explication personnelle de certaines interdictions et même à "reviser toute la théorie du tabou; à reprendre sur des bases nouvelles la question de l'origine des écritures et des alphabets [...] l'idée que la marque crée un lieu d'appartenance et de parenté; à examiner quelle est la situation exacte, par rapport aux langues proprement dites ou communes, des langues spéciales".

En 1897, Van Gennep rompt avec sa famille, qui n'a pas accepté son mariage. Il se voit alors contraint à chercher une situation. Il accepte le poste de professeur de français au lycée de Czestochowa, en Pologne. Il y reste quatre ans et met cette période à profit pour apprendre le russe, le polonais ainsi que d'autres langues slaves.

En 1901, Van Gennep rentre à Paris. Ses connaissances de nombreuses langues lui permettent d'obtenir le poste de chef des traductions à l'Office de renseignements agricoles du Ministère de l’Agriculture.

Parallèlement, il s'enthousiasme pour les problèmes qui agitent l'école anthropologique anglaise et les sociologues français, tels Emile Durkheim et Marcel Mauss: le totémisme, le tabou, les formes originelles de la religion, les relations entre mythe et rite.
Il dépouille un maximum de sources recueillies à Madagascar par divers auteurs. Van Gennep aborde ces travaux avec originalité et nouveauté. Il appréhende le tabou comme institution sociale – et non seulement religieuse – des plus importantes qui se maintient par la coutume, expression de l'idée d'obligation. Cette conception porte en germe les théories modernes du tabou.
Les compilations et réflexions de Van Gennep sur ces thèmes aboutissent à la publication de ses deux premiers ouvrages: Tabou et totémisme à Madagascar et Mythes et légendes d'Australie, dans lequel il dénonce l'ethnocentrisme.

En 1908, Van Gennep commence à vivre de ses travaux personnels: conférences, traductions, chroniques régulières et collaboration à diverses revues.

Une année plus tard, il achève un ouvrage capital: Les Rites de Passage. Son remarquable schéma d'analyse des rites conserve aujourd'hui encore toute sa valeur: ces phénomènes se décomposent en trois phases: séparation, marge et agrégation; selon les situations, ces séquences apparaissent d'importances inégales: ainsi la séparation est, par exemple, plus marquée dans les funérailles; l’agrégation dans la naissance; la marge dans les fiançailles. Ces séquences présentent l'avantage de pouvoir s'appliquer au fonctionnement des rites de passage dans n'importe quelle société.

En 1912, la première chaire d'ethnographie et d'histoire comparée des civilisations est créée grâce au mécénat des frères Borel.
Henri-Alexandre Junod, missionnaire et ethnologue chez les Thonga (Côte est de l'Afrique du Sud) se désiste en faveur d'Arnold Van Gennep, qui restera à Neuchâtel de 1912 à 1915. Il participe à la réorganisation du Musée dont il publie le premier guide (1914).

Principal initiateur du premier Congrès international d’ethnologie et d’ethnographie qui se tient dans la ville du 1 au 5 juin 1914, il est expulsé du pays en 1915 à la suite de la publication d'un article dans la Dépêche de Toulouse, article jugé insultant pour la Suisse.

Pendant la guerre de 1914-1918, il est ramené par Poincaré au Ministère des Affaires étrangères et il y reste jusqu'en 1922. Puis redevenu indépendant afin de pouvoir faire une tournée de conférences aux Etats-Unis sur les petits métiers et les chansons populaires de France, il reprend tout à la fois les travaux qui lui permettent d'assurer sa subsistance et son œuvre personnelle.

C'est seulement après 1945, alors qu'il a plus de 72 ans, que le Centre national de la recherche scientifique lui accorde une subvention, ce qui lui permet de consacrer toutes ses forces à la rédaction de son Manuel de folklore français contemporain. Celui-ci reste cependant inachevé lorsqu'il meurt à Bourg-la-Reine en 1957.

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